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Style = saynète ---- Genre = comédie --- Titre = Roméette et Julio

 

ROMEETTE       ET      JULIO

Devant le rideau rouge, face aux spectateurs.

Metteur en scène : Mesdames, Mesdemoiselles  et Messieurs,  nous allons avoir le vif plaisir

d’interpréter devant vous, ce soir, un acte délicieux d’Oscar Marivelle intitulé : « Roméette et Julio ».

Le rôle de Roméette sera tenu par Melle Dubois, celui de Julio par M. Durand …

Dupont fait irruption côté cours

Dupont : Pardon, pardon, Julio c’est moi.

Durand fait irruption côté jardin

Durand : Pardon, on m’a donné le rôle. Vous  étiez malade et je suis votre remplaçant.

Dupont : Je suis à présent rétabli et je suis ici pour tenir mon rôle.

Durand : Trop tard ! trop tard ! J’ai appris ce rôle, nous l’avons répété avec mademoiselle

Dubois et c’est à moi de le jouer.

Dupont : Moi aussi je l’ai appris et je suis l’acteur principal, vous, vous n’êtes qu’une

doublure.

Metteur en scène : Ecoutez, M. Dupont, de toutes façons, je pense qu’il est préférable que ce

soit M. Durand qui tienne le rôle…   C’est plus dans son tempérament que dans le vôtre… et …

Dupont : Alors vous croyez que j’aurai appris le rôle pour rien ? Vous m’avez pas regardé ?

Durand : Mais si on vous a bien regardé, vous n’avez pas du tout la tête de l’emploi.

Dupont : Autant que vous … espèce de polichinelle à ressort !

Durand : Ah mais dites donc, je vous interdis de m’insulter  espèce de mannequin biscornu !

Metteur en scène : Messieurs, Messieurs, je vous en prie, un peu de tenue !

Dupont : Je le jouerai ce rôle, c’est moi qui l’ai eu le premier.

Durand : Non, c’est moi qui le jouerai, c’est pas dans votre tempérament, on vous l’a déjà dit.

Metteur en scène : Messieurs, s’il vous plaît, un peu de respect pour les spectateurs !

Durand : Enfin Monsieur Barbuzet, c’est à moi de le jouer n’est-ce pas ?

Dupont : Non, non, il est à moi n’est-ce pas ?

Metteur en scène : Nous n’avons plus le temps d’en discuter, la pièce doit commencer

maintenant.

Allez en coulisses, mettez-vous d’accord et commençons.

Ils repartent chacun de son côté, cours et jardin tout en s’invectivant.

Dupont : Vous pouvez aller vous rhabiller, canard à roulettes !

Durand : Et vous, vous pouvez rentrer chez vous, tête d’âne chauve !

**********   

Le Metteur en scène passe la tête derrière le rideau.

Metteur en scène : Mademoiselle Dubois ?

Elle répond de derrière le rideau.

Melle Dubois : Nous commençons tout de même ?

Metteur en scène : Bien sûr qu’il faut commencer.

Asseyez-vous dans le fauteuil.

Au public : Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs veuillez nous excuser de ce petit incident sans gravité.

La scène se passe dans un charmant petit boudoir Louis VX.

Roméette attend avec impatience et inquiétude la visite de son fiancé car ses parents s’opposent à leur mariage … Mais place au théâtre … Les trois coups vite.

Le rideau s’ouvre sur Roméette assise dans un fauteuil Louis VX. Elle déclame.

Melle Dubois : Mais que fait donc mon adorééé ? Ah! mon cœur se fane de l’attendre, car

mon cœur est une fleur qui s’est ouverte au soleil de l’amour…

(des bruits de pas se font entendre

Mais qu’entends-je ? Des bruits de pas ! C’est lui, le voici celui que j’aime, Julio l’homme de ma vie, le seul, l’unique …

Les deux Julio en même temps (cours / jardin) : Me voilà mon amour.

Roméette : Hein ! Heu ! Ha!

Durand à Dupont : Mais fichez donc le camp espèce de m’as-tu vu !

Dupont : Rien à faire, c’est mon rôle !

Roméette : Mais c’est impossible.

Dupont : Enchaînez nom d’une trompette en zinc !

Roméette : Ah! mon Julio, votre présence me réchauffe, il fait si froid lorsque vous n’êtes pas

là.

Deux Julio : Roméette ma chérie, avez-vous parlé de moi à vos parents ?

Roméette : Oui  mon Julio, mais hélas ils ne veulent pas que je devienne votre épouse.

Deux Julio : Ciel ! Ils ne veulent pas que vous soyez ma femme ?

Roméette : C’est ridicule. (à Dupont) retirez-vous.

Dupont : (montrant Durand du doigt) C’est à lui de se retirer, j’étais là le premier.

Durand : (S’agenouille aux pieds de Rométte et lui prend la main) Enchaînons, ne nous

occupons plus de lui.

Dupont : (S’agenouille et prend l’autre main de Roméette) C’est vous qu’on devrait

enchaîner espèce de chimpanzé.

Durand : Ciel ! Vos parents ne veulent pas que vous soyez notre femme … Euh .. que vous

soyez MA femme ?

Dupont : Ciel ! Ils ne veulent pas que vous soyez ma femme ?

Roméette : Ils désirent me voir épouser le Comte de Saint Eczéma.

Deux Julio : Le Comte de Saint Eczéma, ce misérable ! Eh bien je le tuerai en duel.

Roméette : Et si c’était lui qui vous tuait, mon Julio, je n’y survivrai pas. Songez que je n’ai

que vous dans la vie… Je n’ai qu’un Julio.

Deux Julio : Oui vous n’avez qu’un Julio, et ce Julio, c’est moi. (ils s’affrontent) Mais plutôt

mourir que vous voir épouser un autre.

Roméette : Je ne saurai, non plus, renoncer à devenir votre femme.

Deux Julio : Alors ma Roméette, nous devons fuir et nous marier clandestinement.

(Ils se lévent et essaye d’entraîner Roméette chacun de son côté).

Durand : Fuyons tous les deux !

Dupont : Tous les trois ! Ah non, c’est vrai il y en a un de trop.

Roméette (à Dupont) : C’est vous, fichez le camp.

Dupont : C’est à lui de ficher le camp.

Roméette : Fuyons, fuyons tous les trois … Non tous les deux. Non décidément c’est

impossible de jouer la comédie dans ces conditions.

Durand : Ne vous énervez pas. Reprenons .

Fuyons tous les deux (Il l’attire vers lui, mais l’autre la retient)

Deux Julio : Fuyons avant que vos parents ne reviennent. Mon cheval est à la grille, vous

monterez en croupe.

Dupont : A trois sur un canasson, on va se casser la gueule.

Roméette : Trop tard, les voici, je les entends …..

Deux Julio : S’ils nous trouvent ici tous les deux, que vont-ils penser ?

Dupont : A deux ça irait encore, mais c’est qu’on est trois.

Durand : Mais taisez-vous donc imbécile !

Dupont : Imbécile ? Pas plus que vous crétin.

Le père : Que faites-vous ici jeune homme ? ….. Mais ils sont deux ????

La mère : Qu’est-ce que cela veut dire ???

Dupont : (Montrant Durand) C’est lui, il est de trop.

Durand : Enchaînons, enchaînons ! Euh …. Monsieur le Duc …

Dupont : Monsieur le Duc…

Durand : Je viens d’apprendre …

Dupont : Je viens d’apprendre …

Durand : L’affreuse nouvelle …

Dupont : L’affreuse nouvelle …

Le père :  Je peux vous la confirmer, vous n’aurez pas la main de ma fille.

La mère : Ni l’un ni l’autre.

Roméette : Mais voyons , vous voyez bien qu’il y en a un de trop.

La mère : Comment ça il y en a un de trop ???

Deux Julio (au père) : Puis-je connaître la raison de ce cruel refus ?

La mère : Notre enfant n’épousera jamais un roturier.

Le père :  Mais c’est ma réplique ?

Dupont : Ah ! c’est « roturier » . Sur ma brochure il y avait écrit « rotulier », j’imaginais que

c’était un type qui fabrique des rotules … (stupéfaction des acteurs incrédules) pour mettre dans les genoux (se croit-il obligé de préciser).

Durand : Mais allez-vous vous taire idiot !

Dupont : Pas plus idiot que vous andouille !

Le père :  Enchaînons s’il vous plaît.

Nous ne saurions tolérer une telle mésalliance.

Deux Julio : En ce cas, il ne me reste plus qu’à mourir.

Roméette : Ah mon Julio , je veux mourir avec vous.

La mère : Roméette, je vous défends bien de mourir avec ces messieurs.

Roméette : Mais vous ne comprenez donc pas qu’il y en a un de trop ?

La mère : Un quoi ?

Le père : Enchaînons non de non.

Si vous voulez mourir, allez mourir ailleurs.

Deux Julio : Je mourrai seul, j’irai m’empoisonner.

Dupont : C’est vous qui m’empoisonnez.

Une sonnerie de téléphone sur le petit meuble du salon. Le père décroche.

Le père : Allô, Allô…. Oui, oui il est ici….. C’est un appel pour Monsieur Julio ….

Deux Julio : Pour moi ?

Ils prennent le téléphone des mains du père.

Durand : Mais laissez-moi donc le téléphone !

Dupont : Mais pas du tout, cet appel est pour moi, je suis Julio !

Le père : C’est invraisemblable.

La mère : Mais pourquoi sont-ils deux ?

Deux Julio : (L’oreille collée au combiné) Allô, oui, c’est moi Julio, oui, bonjour Maître.

Ah pas possible, mon Dieu oui, j’arrive tout de suite. Merci Maître.

Durand : Mon notaire …

Dupont : Viens de m’apprendre …

Durand : Que j’hérite de ma défunte tante …

Dupont : de vingt millions de francs

Le père : Vingt millions ! Mais alors, plus rien ne s’oppose à ce que vous épousiez notre

Roméette.

La mère : Vingt millions chacun, ça fait quarante en tout.

Roméette : Mais voyons, ils sont un seulement !

La mère : Je ne comprends rien du tout !

Silence.

Le père (à la mère) : C’est à vous !

La mère : Quoi, les vingt millions ?

Le père (à la mère) : Mais non espèce de gourde... la réplique, la réplique.

La mère : Ah oui ! …

Euh ! Cher jeune homme, comme je serais heureuse de vous avoir pour gendre… tous les deux.

Roméette : Il n’y a rien à tirer de cette femme là !

Le père : donnez-moi votre main jeune homme. (Ils tendent tous deux la main. Le père met les deux mains dans la main de Roméette) Voici celle de ma fille.

Roméette : Chers parents, comment vous remercier pour tant de générosité ?

Deux Julio : Chers parents, Je puis donc enfin vous appeler « chers parents ».

Le père (à la mère) : Retirons-nous chère épouse ! Laissons seuls ces deux tourtereaux.

La mère : Oui, Eugène, laissons les à leur bonheur … tous les trois.

Deux Julio : Je ne puis croire à ma félicité. Ah ma Roméette, maintenant que vous allez

devenir ma femme, m’accorderez-vous vos lèvres ?

Roméette : Prenez les mon cher amour …..(Ils essayent tous les deux de l’embrasser).

Mais pas tous les deux voyons, arrêtez, vous m’étouffez …

Dupont : C’est pour moi.

Durand : Non c’est pour moi.

Roméette : (les repousse et se lève) J’en ai assez, je m’en vais, débrouillez-vous sans moi.

Deux Julio : Mais ….. Mon baiser …. !

Ils se retrouvent seuls

Dupont : Vous, je vais vous casser la figure.

Durand : Vous, je vais vous démolir le portrait.

Rideau !  Rideau !

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